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TRIBUNE LIBRE
Le médecin référent, une éphémère utopieNous, les retraités, sommes de ceux qui souffrent le plus des déserts médicaux. L’absence d’anticipation, le numerus clausus des étudiants en médecine, ont eu pour conséquence le non-remplacement des médecins partis à la retraite.
Pourtant, de 1998 à 2005 fonctionna un mode d’exercice qui aurait pu inciter nombre de médecins à prolonger leur carrière : ce que l’on appela « Option Médecin référent » mais dont presque plus personne ne se souvient ; même à cette époque peu de Français eurent connaissance de cette possibilité. Et pour cause. Si vous faites une recherche sur internet et tapez « Médecin référent » vous obtenez comme première réponse le site AMELI : « Il n'existe aucune différence entre un médecin traitant et un médecin référent puisqu'il s'agit de deux termes différents pour désigner la même fonction ». Ce qui est fondamentalement une information trompeuse. Vous cherchez « référent », on vous répond « traitant », Il s’agit d’un glissement sémantique organisé et médiatisé en 2004/2005 sous l’impulsion du ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille, Philippe Douste Blazy, dans le civil professeur de médecine en épidémiologie, économie de la santé et prévention. C’est le terme « économie » qui correspond le mieux à son action.
Quand il prend ses fonctions en mars 2004, l’option médecin référent existe depuis 7 ans et fonctionne de mieux en mieux pour les quelque 5000 généralistes qui s’y sont engagés et environ un million de patients. La montée en puissance est certes lente, parmi les médecins signataires, un certain nombre n’expérimente le système que sur une frange de leur patientèle. Mais 7 ans, cela permet de commencer à tirer des conclusions : en termes d’économies de santé, de confiance des patients, de qualité de vie des médecins, de prévention et de dépistage des maladies cardio-vasculaires, des cancers pour ne citer que ces deux fléaux, l’option est prometteuse. Ce mode de fonctionnement a certes coûté en investissement (honoraires forfaitaires principalement). Mais ses effets bénéfiques sont plutôt attendus 15 à 20 ans après sa mise en œuvre. Comment aborder une campagne présidentielle (celle de 2007) avec des comptes de la Sécu pas trop mauvais. L’option a coûté et les économies budgétaires sur les maladies graves évitées, sont différées « Médecin référent, nous dit le ministre, personne ne comprend ce que cela signifie. Nous allons revenir au terme de médecin traitant, auquel tout le monde est habitué. Et nous allons élargir le dispositif : tous les médecins généralistes deviendront médecins traitants, et tous les assurés sociaux devront désigner un médecin traitant ». Ce qu’il ne mentionne pas, c’est qu’au passage, les honoraires forfaitaires dus au médecin sont réduits significativement, et que l’immense majorité des patients et des médecins ne sont ni volontaires, ni formés à ce système de soins, et que leur seule motivation est d’éviter les pénalités lors des remboursements.
Pour comprendre ce qui faisait l’intérêt de l’option médecin référent, il faut remonter au début des années 80, quand le syndicat de généralistes MG-France se constitue. Ce syndicat est une nouveauté, c’est le premier qui n’amalgame pas les revendications des généralistes et celles des spécialistes, le premier qui organise la formation des généralistes par et pour eux-mêmes, qui démontre que la médecine générale est une spécialité à part entière. Il est favorable au tiers payant, propose de s’écarter, au moins partiellement du paiement à l’acte, surtout il souhaite faire de la prévention la majeure partie de son exercice. Éthiquement cela lui semble préférable à la pratique majoritaire qui consiste pour les médecins libéraux à tirer la totalité de leurs revenus des maladies de leurs patients. Il entend libérer la formation continue de l’influence de l’industrie pharmaceutique. Dès 1980 il propose le contrat de santé, projet combattu par les principaux syndicats, CSMF et FMF, qui privilégient la défense des intérêts des médecins, non la protection sociale, attitude cautionnée par le Conseil de l’Ordre des Médecins.
En pratique, comment fonctionnait ce dispositif ? Le Médecin référent proposait à son patient de signer un contrat en quadruple exemplaire : un qu’il conservait, un pour le médecin, un pour sa CPAM, un pour son assurance complémentaire ; en l’absence de dénonciation, ce contrat était prolongé chaque année à la date anniversaire de sa signature. Un forfait équivalent à environ une consultation 1/2 était réglé par la CPAM au médecin à la signature et à chaque renouvellement. En contrepartie, le médecin s’engageait à surveiller le dossier du patient, même en l’absence de toute consultation, même en dehors de la présence physique de celui-ci. Son travail s’orientait vers la prévention et le dépistage des cancers et des maladies cardiovasculaires, les vaccinations, l’éducation sanitaire. Il s’engageait aussi à poursuivre sa formation continue, soutenu par la CPAM, et à utiliser dans la mesure du possible des médicaments génériques et à suivre les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Tous les patients bénéficiaient du tiers-payant intégral.
Cela révolutionnait la pratique de la Médecine. Il ne s’agissait plus de répondre seulement à la demande de soins, mais d’envisager en plus la préservation de la santé. Le Médecin référent pouvait prendre des initiatives qui lui étaient interdites auparavant : comme relancer à la faveur du contrat, un patient qu’il n’avait pas vu depuis longtemps (le conseil de l’ordre y aurait vu autrement une éventuelle tentative de détournement de clientèle). Cela permettait de rattraper systématiquement tous les retards de vaccinations, ce qui se vérifiait statistiquement, les résultats des médecins référents étant bien supérieurs à ceux des autres médecins empêchés par le conseil de l’ordre. Même constatations pour les dépistages de maladies graves à leur début. Une sécurité pour les patients, qui disposaient d’un compte rendu périodique de leur dossier. Pour le médecin c’était aussi l’assurance d’une activité lissée sur l’année. Fini le stress des journées de 20 heures en période d’épidémie, et du « chômage technique » quand une partie importante de la patientèle était en vacances. Le médecin référent avait la possibilité de travailler en présence du patient (cas habituel) aussi bien qu’en son absence (sur le dossier). Lissage de l’activité, mais aussi des revenus, le paiement des forfaits jouant le rôle de « congés payés », inimaginables autrement dans un exercice libéral.
Philosophiquement, c’était la satisfaction pour le médecin de ne plus compter seulement sur le malheur des autres pour assurer son bien-être matériel. Son principal souci était la préservation de la santé de sa patientèle. Ce fonctionnement était gagnant/gagnant/gagnant : pour le patient (mieux suivi) ; pour le médecin (plus serein, aussi bien rémunéré) ; pour la Sécu qui à moyen terme ferait des économies sur la prise en charge des maladies graves. Je précise que cette option n’était en aucun cas une tentative de classification ou de mise en concurrence des généralistes : tous pouvaient sur simple demande à la CPAM devenir médecins référents. Je ne regrette pas d’avoir été l’un d’eux, car cette période fut la plus heureuse de mon exercice professionnel.
Olivier DEMARCQ
Vous avez la possibilité de regarder la vidéo sur la commune de 1871réalisée à partir de 3 ouvrages en bande dessinée par l'UL CGT de Montpellieret Loisir Solidarité Retraités à partir du lien ci-dessous. (clic)
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